« Mémoires des pluies » parle à la fois avec une certaine nostalgie, de l’enfance qui s’est éloignée et d’un « tu » amoureux, aujourd’hui absent. Le narrateur peut s’appuyer sur la force des mots et de l’écriture pour traverser l’existence et supporter ces pertes, les métamorphoser. Autour de lui, la nature distille ses forces et ses cycles dans un miroir ambigu. L’ombre de la mort et de la finitude hante ses pas. Ici les mots sont comme des flammes qui réchauffent, un espoir de retrouvailles, intérieures du moins, avec l’amour. Les pluies nourrissent la terre et font croître, de même que les souvenirs heureux, elles lavent et rendent à l’humus, aux eaux, au ciel, de même que le temps parfois, et si elles évoquent peut-être des pleurs, elles voyagent, traversent, se changent, métamorphosent. Ainsi, malgré la nostalgie du titre, il faut saisir ce recueil comme un espoir, un espoir porté par les mots.

"La lumière éclose" est un ensemble de poèmes qui parlent de la traversée du deuil ; comment, pas à pas, nous intégrons à nos vies intérieures et quotidiennes la beauté et l’amour partagés avec nos morts. L’écriture et la nature sont deux puissantes forces qui aident la narratrice dans sa transformation. Ainsi la lumière peut éclore après un voyage dans les ombres, comme une nouvelle saison après l’hiver.

"Après une grossesse interrompue, une femme prend la montagne comme on prend la mer, pour refaire corps. En prise sur la roche, la voix qui dit l’ascension de son deuil affirme de vers en vers un dialogue avec les pentes, avec les éléments, avec les animaux dont la femme croise le chemin à travers cette montagne concrète, à la fois rugueuse et complice.

Pas après pas, dans cet espace où s’arrêtent les visages, celle qui s’élève sent se dissoudre ce qui la sépare encore du vivant, ce qui la sépare de la montagne, découvre qu’elles sont, toutes les deux, formées de la même matière, primordiale, en expansion depuis les débuts de l’univers, comme les comètes à toucher du doigt.

Sibylle Bolli taille ses poèmes dans une langue minérale, décidée comme l’air d’altitude qui coule froid dans les poumons, compacte comme les falaises qui s’élancent au plus haut, une langue attentive qui connait aussi la sensualité, la douceur, la prévenance des éclaircies, quand l’espoir qui s’ébroue défroisse la pente et que le cœur apprend à épouser la bascule du vent."

Pierre Fankhauser